Oasis sur le Toit : De la Permaculture aux Bananiers Urbains


Parmi mes relations proches, un certain nombre m’encouragent à partager mon expérience en Inde, tant elle paraît originale sur le plan de la végétalisation. On pourrait penser qu’il est aisé de faire pousser une végétation luxuriante sous les tropiques ; en réalité, ce n’est pas toujours aussi simple qu’on le croit. Les conditions de sol particulières, les températures extrêmes, et la maîtrise de l’arrosage annoncent déjà les défis à relever.Lorsque nous sommes arrivés en Inde en 2017 avec ma famille pour mon expatriation, la quête d'un logement adéquat est devenue ma première mission. Je privilégiais les maisons dotées d'un terrain, envisageant de passer du temps à l'extérieur, une idée qui faisait sourire nombre d’expatriés. La chaleur dans les environs de Chennai peut être suffocante, avec des pics fréquents à 40 °C (les « fire days ») et des températures minimales qui descendent rarement en dessous de 20 °C, même après la mousson de décembre. L’humidité moyenne annuelle s'établit à 71%, avec des variations notables selon les saisons, exacerbant la température ressentie et rendant certains moments de l'année particulièrement éprouvants. Autant dire que le climat est très éloigné de celui de la France.Face à ces premières observations, l'anticipation des défis de végétalisation n'était pas seulement une question pratique mais aussi une nécessité pour créer un environnement vivable et agréable. Ce constat initial a marqué le début de mon aventure dans l'adaptation aux conditions tropicales exigeantes de l'Inde du sud.Après avoir trouvé notre maison, mon premier grand défi fut de trouver des moyens d'abaisser la température ambiante sans recourir à la climatisation, évitant ainsi une consommation excessive d'électricité ou de gazole. La structure de notre maison, caractérisée par son toit terrasse plat, typique de nombreuses habitations locales, semblait offrir un potentiel inexploité. Bien que la maison fût entourée de végétation sur trois côtés, celle-ci était loin d’être luxuriante : les arbres croissaient lentement, souvent malades ou attaqués par les termites, et fructifiaient peu.

Premiers contours : une végétation alignée, arbres rabougris et une pelouse soignée sur terre rouge, prémices d'un espace promis à l'épanouissement.

Notre proximité avec la mer signifiait que le sol alternait entre sableux et le « sol rouge » typique, saturé en oxyde de fer, que l’on trouve dans le sud-est de l'Inde, notamment autour de Pondichéry. Ces sols rouges, malgré leur richesse en argiles, se révèlent peu accueillants pour les plantes en raison de leur faible teneur en nutriments, en azote, de leur pH acide et de leur capacité limitée à retenir l'eau. La mousson mettait ces sols encore plus à l'épreuve en les appauvrissant par lessivage.Surpris par la rareté de la matière organique dans le sol, je me suis trouvé face à cette question : comment générer suffisamment d'humus pour cultiver un potager ou faire pousser convenablement des plantes dans un tel environnement ? Mes attentes, ou ma vision erronée d'un milieu tropical riche en matière organique se heurtaient à la réalité du terrain. Ainsi, j'ai consacré plusieurs semaines à visiter les pépinières locales, cherchant à comprendre les pratiques des professionnels de la région. Je revenais parfois avec quelques plantes pour des tests, achetant des graines quand l'occasion se présentait.Face à ces défis, l'innovation était de mise. J’entrepris de miser sur des techniques de permaculture que j’allais adapter à ce contexte, notamment en créant des planches de culture surélevées et remplies de matière organique. Lors d'une balade je fis une rencontre fortuite avec un artisan local qui produisait des bordurettes en bambou. Séduit par leur potentiel, j'en ai commandé plusieurs mètres, envisageant de créer une planche de culture. J'ai également acquis du bois pour fabriquer bacs et jardinières, aménageant un espace de culture sur notre toit, loin des termites, car tout ce qui touche la terre et qui contient de la cellulose en quantité leur offre un festin certain.


Assemblage à mi-bois en cours pour une structure de jardin surélevé : alliant solidité, matériaux naturels et durabilité.


Premières pousses (gombos) dans notre jardin surélevé, encadrées par des restes de céramique et soutenues par des bordurettes en bambou pour une meilleure rétention d'eau et durabilité. Le sol est enrichi de matière organique et de coquilles d'œufs.

Grâce aux bordurettes en bambou combinées à des plaques de céramique, j'ai pu améliorer significativement la rétention d'eau et la fertilité du sol, contournant ainsi les limites imposées par la terre locale. Cette approche a créé un environnement propice à la croissance de végétaux qui semblaient, à première vue, peu adaptés à notre sol.En remplissant ces espaces de brindilles, d'herbes de tonte, de feuilles - tout ce que je pouvais trouver - j'ai rapidement constitué un substrat fertile. Malgré l'appétit vorace des termites pour le bois, d'autres matériaux, comme les épluchures de légumes, résistaient mieux. Quelques semaines plus tard, encouragé par mon gardien, j'ai planté mes premiers gombos (Abelmoschus esculentus).

L'art de l'arrosage : sous un soin attentif, nos gombos s'épanouissent et se préparent à fleurir.

Les résultats ne se sont pas fait attendre : maîtriser l'arrosage, dans un pays où la mousson donne à cette pratique une dimension presque culturelle, et réguler les apports en matière organique ont été des clés de succès. Encouragés par ces premières réussites, nous avons étendu la méthode à l'ensemble des espaces disponibles autour de la maison et autour des arbres existants.Abandonnant la coutume locale de brûler les déchets végétaux, nous avons opté pour un compostage de surface, profitant de ce que les termites ne voulaient pas engloutir. Ces derniers, peu intéressés par l'herbe et les restes de légumes, nous laissaient une chance. Après avoir cultivé des gombos (ladies fingers), je me suis lancé dans la culture de tomates, d'aromatiques et d'autres plantes issues des graines que j'avais ramenées de mes excursions chez les pépiniéristes locaux.

Synergie végétale : la culture en association favorise un sol vivant et une biodiversité florissante, malgré un arrosage un peu trop généreux et un besoin en matière organique...

J'ai également exploré l'utilisation de légumineuses pour enrichir le sol et j’achetais de la paille de riz pour varier le paillage. J’instaurais également des associations et des rotations de cultures bénéfiques pour le sol.Les arbres, après quelques mois seulement, ont commencé à fleurir, offrant même des fruits : pomelos, sapotes, anones, et quelques mangues. Ces succès précoces ont marqué le début d'une période de récoltes régulières.

Géants verts : les pomelos (Citrus maxima) démontrent une croissance vigoureuse, promettant une récolte généreuse.

Parallèlement, j'ai perfectionné mes mélanges pour la culture en pots et bacs, affinant mes techniques à chaque type de culture. L'année suivante, les résultats ont dépassé toutes nos attentes, attirant l'attention de nombreux visiteurs. Certains me demandaient même d'entretenir leurs jardins ou de superviser leur aménagement. Le propriétaire voyait dans ces succès des signes presque divins, témoignage de la transformation du lieu.Je n'ai cessé d'élargir la variété des espèces cultivées, intégrant tulsi, cymbopogon, divers agrumes, des grenadiers, enrichissant le jardin d'une belle biodiversité. Mes excursions en VTT m'ont permis de découvrir et de ramener des espèces locales, comme le cissus quadrangularis, trouvé lors d'une pause à l'ombre d’un arbre, ajoutant une dimension médicinale et définitivement locale à cette oasis verte.

Le Cissus quadrangularis : une liane connue depuis l'antiquité pour ses vertus thérapeutiques, notamment dans la guérison des fractures et pour ses propriétés anti-inflammatoires.

Face au défi persistant de la température élevée dans certaines parties de la maison, j'ai envisagé une solution originale : cultiver des « arbres » sur notre toit-terrasse. L'objectif était de trouver une méthode économiquement viable et rapidement efficace. Je me suis donc rendu avec mon chauffeur (nous ne sommes pas autorisés par nos entreprises à conduire seuls en Inde pour des raisons de sécurité) dans son village natal pour échanger avec les paysans locaux et sélectionner des variétés possiblement adaptées à la culture en pots.Le chauffeur m’amenait de maison en maison voir les jardins des villageois. Il leur expliquait mon projet qui les faisait sourire. A travers ces présentations j'ai découvert une gamme de cultivars de bananiers de petite taille, offrant une diversité de saveurs et de propriétés. Je décidais de convaincre les villageois de bien vouloir m’en céder pour quelques roupies. Mon choix s'est essentiellement porté sur des plantes d'environ 2 mètres de haut, produisant des fruits comestibles. J'ai aussi été persuadé par certains villageois d'ajouter des papayers et des bananiers plus grands à ma collection.Un marchand le long de l'East Coast Road vendait des bidons idéaux pour mes plantations. Chaque plant ramené fut donc installé dans un bidon individuel, préparé pour la croissance.

Transformation végétale : à gauche, un jeune plan de bananier échardé qui montre les premiers signes de reprise avec l'émergence d'une nouvelle feuille. À droite, après huit semaines, il affiche santé et vigueur.

Les bananiers nécessitent entre 8 et 10 mois pour atteindre la maturité et produire un régime, parfois 12 pour les variétés plus tardives. Les plants, avaient été arrachés et préparés par leurs anciens propriétaires selon une méthode locale similaire à l’échardage de nos poireaux européens : taille de la tige pour ne laisser aucune feuille et coupe à ras des racines à la machette. Plantés autour de la maison et sur le toit-terrasse dans leurs bidons, le succès de leur croissance semblait incertain en raison de la rudesse de la préparation. Néanmoins, leur développement rapide m'a donné un peu d’espoir. En effet, durant les quelques heures du transport ces derniers avaient déjà montré des signes de reprise.

Un toit végétal sous les tropiques : la canopée des bananiers forme un écran naturel, protégeant et rafraîchissant notre maison.

Mon toit avait changé d’allure. L'ombre projetée par ces nouveaux venus était initialement modeste mais s'est densifiée avec le temps, permettant de marcher sans la moindre brûlure aux pieds – une première victoire notable.L'émergence des premières fleurs a été une agréable surprise, annonçant une réussite supplémentaire. Chaque bananier a produit un régime, différent en taille et densité selon la variété, permettant une récolte continue de 1 à 2 régimes par mois sur une période de plus de 6 mois. Il était clair que certaines variétés étaient plus sensibles que d’autres aux conditions de culture en pot et que les régimes pouvaient être moins importants qu’en pleine terre, cela dit tous avaient produit et s’étaient multipliés.

Fleur de bananier sur le toit : un signal de croissance et de réussite.

Cette réussite m'a encouragé à planifier des rotations et à envisager l'extension de la végétalisation du toit pour les années à suivre. J’utilisais les rejets produits naturellement pour perpétuer le cycle de croissance et sélectionnait les variétés les plus adaptées à ces nouvelles conditions.

Jeunes bananiers en préparation et aubergines en culture : diversité et vie dans notre jardin en pots sur le toit.
De la floraison à la fructification : les premières mains de bananes émergent, marquant une nouvelle étape de croissance sur notre toit-terrasse.


Sous cette canopée, d'autres cultures ont prospéré sans protection supplémentaire, comme des aubergines, du persil, des tomates, du basilic, et des pois. Mi-2019, le toit abritait une vingtaine de bananiers et divers bacs de plantation, transformant nos déchets organiques en compost directement dans les pots. Malgré mes craintes initiales, les nuisibles se sont tenus à distance, probablement dissuadés par la texture lisse des pots. Même les renards volants, bien que de passage, n'ont causé aucun dommage notable. La diversité des cultures s'est enrichie la deuxième année avec l'ajout d'agrumes, de grenadiers, d'aloé vera, d'un manguier, d'oliviers, et de vigne, témoignant de la transformation radicale de notre espace.

La diversité des délices : une autre variété de bananier fleurit, promesse d'un autre goût.
Récolte urbaine : un régime de bananes plutôt bien formé, prêt à être partagé et savouré.

Je n’ai pas pu quantifier précisément le gain énergétique apporté par cette ombre sur le toit mais nous avions gagné quelques degrés et nous nous étions débarrassés de le sensation de chaleur rayonnée par le plafond la nuit. Dans le même temps je laissais courir des lianes le long des murs de sorte à en diminuer également la température.Quelque peu acclimatés aussi, nous n’avions quasiment plus recours à la climatisation et la maison était bien plus agréable qu’au début. Cet aspect constitue une économie énergétique substantielle.2020 sonnait la fin de mon expatriation et le covid y mit un terme définitif. Je n’ai pas pu continuer plus avant ces expériences mais nous avions sur une période de 2 ans et demi avancé considérablement dans la végétalisation de la maison et tout le monde en profitait. Nous avions une gestion de nos déchets végétaux et considérablement limité notre dépense énergétique. Nous partagions les récoltes et l’atmosphère était plus agréable.Cuisiner en extérieur, sous l'ombre bienfaisante de notre jardin, devenait un plaisir même à 35°C. C'est une facette de ma méditerranéité que j'ai pu exprimer pleinement, transformant les défis climatiques en opportunités de convivialité.

Délices en plein air : un festin de crevettes épicées sur un lit de riz, préparé à l'ombre apaisante de notre jardin.

Je me suis laissé guider par mon intuition, mon amour de la botanique et des plantes en général. Mes compétences en ingénierie et en bricolage m’ont permis de mettre au point certains systèmes et les techniques. J’ai souvent eu du mal à expliquer mes concepts aux locaux qui ne comprenaient pas ce que je voulais faire. Pourtant, à mon départ, nombreux étaient ceux qui désiraient ou cherchaient à hériter d'un pot ou d'une plante de "Franck", signe d'une reconnaissance touchante de la communauté.Cette expérience, au-delà de ses succès écologiques et sociaux, m’a donné l'envie de poursuivre l'exploration de projets similaires. Un approche plus structurée, des moyens et un temps plus dédié auraient sans doute permis des résultats plus spectaculaires encore. Ce projet a particulièrement stimulé ma créativité dans un pays déjà très stimulant et créatif. Il m'a appris que, même dans les conditions les plus inattendues, il est possible de créer de la beauté, de la fonctionnalité, et de tisser des liens forts avec ceux et ce qui nous entourent.

De l'attention portée à l'abondance : deux ans de soins ont transformé cet espace en un coin de verdure luxuriant, une oasis personnelle.

#JardinUrbain #Permaculture #TransformationVerte #OasisUrbaine #PotagerSurLeToit #InnovationVégétale #BananesUrbaines #ÉcoJardin #RécolteSurLeToit #JardinageTropical #ÉcoResponsable #VerdureUrbaine #PotagerDurable #BiodiversitéEnVille #CréativitéVégétale #VégétalisationUrbaine #JardinEnPots #PermacultureInde #HistoireDeJardin #ProjetÉcologique